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Autisme France
Publiée le jeudi 05 avril
Personnes autistes : les sans-droits de la République ?
Nous sommes sidérés, nous, association de familles, que dans une démocratie, qui se pose en exemple, on s’intéresse dans les médias beaucoup plus à ceux qui véhiculent, imposent et enseignent une lourde erreur, sur l’origine de l’autisme et son accompagnement, qu’à leurs victimes, c’est-à-dire les personnes autistes et leurs familles. L’autisme n’est pas une psychose, c’est un trouble neuro-développemental. Et chacun d’y aller de son couplet, y compris ceux qui ne connaissent rien à l’autisme, pour défendre les approches « plurielles », « intégratives », multi, pluri, transdisciplinaires, au choix, toujours pour contraindre les personnes autistes et leurs familles au « soin » psychanalytique : les mots vides sont devenus hélas emblématiques d’une communication relayée complaisamment par certains médias. Merci à Serge Tisseron d’avoir dit tout haut dans Libération ce que nous disons tout haut depuis plus de 20 ans à Autisme France : ceux qui imposent leur erreur ont le « pouvoir » et entendent bien le garder. La France doit bien être le seul pays au monde où les familles disent massivement non à la psychanalyse et où les psychanalystes leur répondent : eh bien, comme nous avons le pouvoir, vous en aurez quand même. Une assez bonne définition de la dictature. Notre enfant autiste, ce n’est pas l’autiste, comme disent les psychanalystes, mais une personne singulière, avec un tempérament et une histoire. Mesdames et Messieurs les psychanalystes, vous n’avez pas le monopole de la vision humaniste de l’autisme, ni celui du respect de la singularité du sujet, ni celui de sa liberté, et vous n’avez pas à parler au nom des personnes autistes. Les professionnels compétents et formés, médecins, orthophonistes, psychologues, etc… qui aident nos enfants à progresser ont le souci constant de leur dignité, de la construction de leur indépendance, nous les en remercions. Vous vous permettez de projeter sur nos enfants vulnérables des théories sans fondement, inadaptées et choquantes : fantasmes de morcellement, de « moi-peau » absent, de vidage, de « temps pulsionnel », clichés sexuels sans fondement sur l’oralité et l’analité, liés aux modalités d’interactions précoces, alors que ces dernières « n’expliquent en aucune façon la survenue de TED », écrit la Haute Autorité de Santé, pour privilégier « ce qui se joue entre le soignant et le soigné » : ce n’est pas respectueux de leur identité et de leur liberté. On vous a peu entendus protester contre l’enfermement psychiatrique et la neuroleptisation massive de nos enfants, nous l’avons fait seuls ; c’est maintenant que vous poussez des cris d’orfraie parce que nos enfants ne sont majoritairement pas scolarisés alors que vous avez souvent tout fait, dans le champ du sanitaire, pour qu’ils ne le soient pas, au motif, relayé par de nombreuses MDPH de France, qu’il faut privilégier le « soin » dont vous n’expliquez jamais en quoi il consiste, soin que vous n’avez jamais soumis à une évaluation de son efficacité. Cette obligation du « soin » vous a permis souvent par ailleurs de terroriser les familles. Vous n’avez pas davantage le monopole de l’inconscient : ce n’est pas Freud qui a inventé le concept et il ne vous appartient pas. Vous n’avez pas à vous arroger le monopole de la clinique psychiatrique, ni celui de la psychothérapie, alors que votre lobbying vous a permis sans aucun diplôme scientifique d’accéder au titre de psychothérapeute. Cette situation prêterait à rire, si elle ne saccageait pas depuis des dizaines d’années la vie des personnes autistes et de leurs familles, privées, dans l’impunité quasi-totale et la complicité ou l’indifférence à peu près générales, de tout droit. Qu’on en juge : La loi du 4 mars 2002 garantit le droit au diagnostic : mais majoritairement encore en France, (il y a quelques îlots d’excellence), le diagnostic d’autisme, qui doit être posé selon la CIM 10 (codage CIM 10 par ailleurs obligatoire depuis mai 2009 dans un dossier MDPH), malgré des recommandations officielles de diagnostic précoce qui datent de 2005, est refusé aux enfants et aux familles, et ne parlons pas des adultes, qui eux, n’en ont à peu près jamais bénéficié. Si 30% des enfants et 10% des adultes autistes ont un diagnostic, c’est bien le bout du monde. La plupart des médecins n’ont jamais pu, faute d’information diffusée par les autorités de tutelle, actualiser leurs connaissances en autisme, en violation de leur code de déontologie et de la loi ; certains peuvent refuser de le faire publiquement, en toute impunité, bien que payés sur fonds publics. Le Code de Santé Publique garantit à chacun « de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. » Mais ce sont des dogmes vieux d’un siècle qui continuent à être imposés aux personnes autistes, alors que la Haute Autorité de Santé affirme dans l’état des connaissances sur l’autisme : « Sur le plan scientifique, on ne peut faire valoir l'efficacité d'une intervention sans son évaluation préalable ». Le Code Civil stipule que l’autorité parentale « appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne », mais on fait pression sur les familles concernées par l’autisme pour limiter leurs droits à choisir pour leur enfant l’éducation qui le fera progresser. L’article 7 de la loi 2002-2 du 2 janvier 2002 garantit 7 droits aux usagers dont : le respect de sa dignité, le libre choix des prestations, un accompagnement individualisé et de qualité, respectant un consentement éclairé, l’accès à toute information le concernant, et la participation directe au projet d’accompagnement. Ces droits sont largement bafoués : les dossiers médicaux ne sont souvent pas communiqués, les pratiques psychanalytiques se font sans et/ou contre les familles, et les familles qui veulent accéder à des prestations éducatives d’une qualité digne de ce nom, en sont réduites à les financer, car elles le sont très rarement par la solidarité nationale ; sont largement imposés la psychanalyse et de l’occupationnel sans intervention éducative : pour les plus sévèrement handicapés de nos enfants, c’est en violation du décret du 20 mars 2009 relatif aux obligations des établissements et services accueillant ou accompagnant des personnes handicapées adultes n'ayant pu acquérir un minimum d'autonomie. Le décret du 2 avril 2009 rappelle : « Les règles relatives au parcours de formation de l'élève handicapé sont définies aux articles D. 351-3 à D. 351-20 du code de l'éducation. » Quand il s’agit d’un enfant autiste, le médecin s’arroge souvent le droit de limiter le parcours scolaire au nom d’obligations thérapeutiques non définies, avec souvent la complicité de l’Education nationale et des MDPH, alors que le décret ci-dessus ne reconnaît pour l’enfant handicapé qu’un projet individualisé d’accompagnement qui remplace le fameux trépied, censé être obligatoire, éducation, pédagogie, soin, dont on nous rebat les oreilles, sans aucun fondement. L’article 67 de la loi de 2005 stipule : « Toutes les dispositions sont prises en suffisance et en qualité pour créer, selon une programmation pluriannuelle, les places en établissement nécessaires à l’accueil des jeunes personnes handicapées âgées de plus de vingt ans. » Nos enfants devenus adultes, très majoritairement dans une situation tragique, ont le choix, sauf rares exceptions, entre intégrer des établissements où les professionnels ne connaissent peu ou pas l’autisme, où ils risquent en permanence l’exclusion à la première difficulté de comportement, rester à la maison dans des conditions difficiles pour les familles, se retrouver en psychiatrie, à l’isolement, en contention, sous camisole chimique. L’éducation et l’instruction sont protégés par des normes constitutionnelles et internationales dont nos enfants sont largement privés ; la France a été condamnée 3 fois par le Conseil de l’Europe en 2004, 2007, 2008, pour discrimination à l’égard de nos enfants : que faut-il de plus ? Une plainte internationale pour que chacun prenne conscience du scandale juridique et éthique ? Ce qui s’est passé depuis 30 ans porte un nom, cela s’appelle une erreur médicale ; comme toute erreur, elle doit être reconnue et réparée : pendant 30 ans, une immense majorité de personnes autistes n’a jamais eu d’éducation : nous attendons réparation collective de ce qui constitue pour elles une « perte de chance » au sens juridique, car elles n’ont pu accéder à l’autonomie et la dignité qui auraient pu leur être accessibles. Le refus de l’éducation et le financement de pratiques obsolètes et inefficaces en hôpital de jour coûte cher au contribuable : de 600 à 900 euros par jour, parfois pour 1 à2h de présence. Donnons-les aux familles ou aux structures médico-sociales qui mettent en œuvre le soutien éducatif nécessaire à nos enfants : elles sauront quoi en faire. Nous n’avons rien contre vous, à chacun ses croyances, c’est la démocratie, mais réservez-les à ceux qui peuvent exprimer leur consentement libre, exprès, et éclairé, comme dit la loi du 4 mars 2002, et peuvent les partager. L’autisme n’est ni une niche politique en temps d’élection, ni un créneau commercial, ni un fantasme collectif, c’est un handicap sévère qui doit mobiliser la solidarité nationale et l’efficacité évaluée des pratiques d’accompagnement ; on naît et on meurt autiste dans l’état actuel de nos connaissances, mais on peut apprendre à vivre moins mal avec ce handicap en contournant les difficultés, en s’appuyant sur ses points forts. Une personne autiste est d’abord un citoyen. Les citoyens ont tous les mêmes droits. Danièle Langloys Présidente Autisme France |